Extrait de "Mémoires de la société historique, littéraire et scientifique du Cher." Edition 1868-1945.
Bien autrement grave fut la catastrophe qui terrifia Aubigny-sur-Nère et dont le souvenir, avec la tradition de la légende, s'est transmise jusqu'à nous.
En quittant la petite ville d'Aubigny, par la route de Bourges, à environs un kilomètre sur la gauche, se trouve une ferme appelée la Gariolle. A l'extrémité de l'oûcheron (de oûche, terre labourable ou jardin attenant à la ferme et entourée de haies) de cette ferme se voit un taillis de quelques hectares s'inclinant vers l'ouest. Cette inclinaison forme l'un des versants d'un petit vallon appelé la Malnoue, qui remonte vers le sud de quelques centaines de mètres: mais à l'opposé il se prolonge vers Aubigny d'un côté, et de l'autre contournant l'un de ses faubourg (le faubourg du Cygne), traverse la route de Sainte-Montaine et va se perdre un peu plus bas dans la vallée de la Nère.
C'est sur l'emplacement de ce vallon, toujours appelé vallon de la Malnoue, qu'eut lieu l'irruption soudaine du fleuve souterrain, dont nous allons tenter de retracer les péripéties d'après la légende.
Il y avait à la Gariolle un boër (bouvier, enfants en général qui s'occupaient des boeufs) qui, depuis plusieurs années déjà, conduisait l'attelée de boeufs de cette ferme. La moisson avait été pluvieuse et l'herbe, bien qu'abondante, n'avait que peu de propriétés nutritives. Aussi le boër voyait-il avec chagrin ses boeufs dépérir et l'époque des couvrailles approchait. Il se plaignait à tout le monde, cherchant des conseils. Un jour qu'il avait parcouru tous les prés et pâtureaux des fermes voisines, il rencontra un homme qu'il ne connaissait pas. A ses plaintes , l'inconnu répondit que ses boeufs maigrissait parce qu'ils avaient les dents déjà usées et il lui remit quelques plantes qui devaient leur rendre l'appétit. Il lui promit aussi certain pot de certaine graisse qui, frottée sur les courroies des jougs, devait donner un pas alerte à ses bêtes.
Mais tout cela n'était rien à côté d'un aiguillon dont lui-même s'était servi dans sa jeunesse, et dont il voulait bien indiquer la fabrication au boër qui l'écoutait ravi, bouche bée.
L'aiguillon devait être en aubépine; mais les aubépines assez longues pour être ainsi utilisées sans être trop grosses, ni trop noueuses, sont fort clairsemées. Cette aubépine ne devait être coupée qu'à un certain moment de la lune, entre onze heures et minuit, par sept coups de serpe, dont le dernier seulement devait abattre la tige. Ils devaient être donnés un par nuit, toujours à la même heure, en prononçant des paroles cabalistiques, que l'inconnu enseigna au boër. Puis il fallait en prononçant d'autres mots, la faire griller sept fois sur un feu formé d'espèces de bois spéciales et à chaque fois il fallait recouvrir le feu avec une herbe différentes, dont la septième était la fougère, qui devait être cueillie en fleurs, récolte qui ne peut être faite qu'après le feu de la saint Jean, entre onze heure et minuit, seul moment de l'année où l'on puisse voir cette plante en floraison.
Ce n'était donc pas facile de mener à bonne fin la confection d'un pareil aiguillon. Mais s'il y parvenait, avec un tel talisman que ne pourrait-il faire ! Ses boeufs, au contact de l'aiguillon, ne sentiraient plus la fatigue, plus ils marcheraient, plus ils seraient frais et dispos. D'ailleurs, tout ce qu'il toucherait serait comme enchanté. Le blé de semaille remué avec son aiguillon volerait sans peine de la main du semeur rendu infatigable.
"Mais, ajouta l'inconnu avant de s'éloigner, un fois fait, que cet aiguillon ne touche jamais à la terre; sinon, crains les plus grands malheurs!"
Pendant des semaines, le boër chercha, menant ses boeufs partout où il pensait trouver l'aubépine tant désirée. Il ne respectait rien, son troupeau devastait tout, tandis qu'en proie à son idée fixe, il cherchait, cherchait toujours. Enfin, après bien des déboires, bien des mécomptes, il réussit à fabriquer le merveilleux auguillon.
Tout changea dans l'attelée: les boeufs allaient, allaient sans repos, sans arrêt. Les terres, mouillées par des pluies continuelles, défonçaient sous la charrue, les boeufs y enfonçaient jusqu'au ventre. Loin de les dompter, on eût dit que la difficulté les activait encore. Le valet de charrue, qui naguère gourmandait le boër sur sa paresse, qui allait jusqu'à lui jeter, à lui un boër, l'injure sanglante de vacher, ne savait plus que penser. Bientôt il fut à bout de forces. les boeufs allaient toujours. Il n'en pouvait mais et le boër ne se sentait pas d'aise.
Il ne restait plus que la terre du petit oûcheron de la maison à emblaver, si mouillé, si détrempé, qu'on l'avait gardé pour la fin,comptant toujours sur un retour du beau temps, qui n'était pas venu. Cette terre, qui eût en de bonnes conditions demandé plusieurs journées pour être emblavée, le fut en une seule. A peine si le fermier qui, d'ordinaire, eût pu fournir à semer pour quatre charrues, arrivait à semer pour sa seule attelée de boeufs, bien qu'avec une rapidité qui tenait du prodige, s'épandît la semence de sa main toujours ouverte.
Personne ne comprenait rien à ce train d'enfer. Le boër lui-même, échauffé à ce jeu, avait au milieu du jour jeté sa veste de côté. Enfin le dernier sillon était tracé. Et tandis que le fermier et le valet se reposaient, ahuris d'une telle furie de travail, le boër courait ramasser sa veste. Gêné par son aiguillon pour passer son habit, il le fiche en terre, oublieux maintenant des recommendations qui naguère lui avaient faites son initiateur. Sa veste mise, il saisit son aiguillon, l'arrache pour regagner la ferme, mais il reste pétrifié d'étonnement et bientôt d'épouvante.
Dans le trou laissé par son aiguillon bouillonnait une eau blanche comme du lait. Elle montait, s'élevant de plus en plus, et tout à coup s'élançait dans les airs en une mince veine liquide, qui avait des pieds et des pieds de hauteur. Bientôt ce fut une colonne d'eau grosse comme le bras: d'instant en instant elle augmentait, projetant en l'air la terre et les cailloux. Médusé par la peur, le malheureux boër restait cloué au sol. Bientôt il disparut avec son aiguillon dans le gouffre qui s'était creusé sous ses pieds.
Cependant l'eau se répandait au loin, et à la nuit, l'oûcheron n'était plus qu'un lac à l'extrémité duquel l'on voyait un bouillonement formidable.
Le fermier terrifié plaça son monde pour surveiller les progrés de l'inondation. Quand la lune fut levée, il s'assura de la direction que prenait les eaux et vit que la plus grande partie se dirigeait sur la vallée de la Nére, qui se trouvait déjà débordée.
Il courut à la ville prévenir le bailli des circonstances de la disparition de son domestique et de l'inondation imminente. A le voir si pâle et si défait, le bailli crut qu'il n'était pas dans son bon sens et le renvoya chez lui, lui répétant que d'ailleurs la ville ne craignait rien, que les tunnels sous lesquels coulait la Nère avaient absorbé des crues autrement considérables que les écoulements de son petit oûcheron.
Mais, à minuit, la population se réveille, effarée, au son du tocsin. La ville était inondée. L'eau avait envahi toutes les maisons, sauf celles qui étaient groupées autour de l'église. La confusion fut inexprimable. La nuit se passa dans des transes au milieu de lamentables déménagements, au bruit des murs et des constructions qui s'effondraient dans les eaux.
Le jour vint montrer toute l'horreur du désastre. On dut s'occuper à sauver les habitants les plus compromis. Le bailli, se souvenant un peu tard du fermier de la Gariolle, envoya aux renseignements.L'eau sortait toujours aussi impétueusement de l'oûcheron de la Gariolle.
Le lendemain, qui se trouvait être le mercredi, on résolut pour débarrer la vallée, de démolir trois maisons dans l'endroit le plus bas de la ville. On se prit à pratiquer la brêche, et la violence du courant aidant, elle fut assez largement ouverte pour permettre aux eaux de baisser de deux pieds.
Mais la ville restait coupée en deux par le torrent qui s'écoulait par la brêche. L'on s'occupa le jeudi de visiter les ponts de la Nère que l'on trouva complétement obstrués par les buissons et les arbres que les eaux de la Gariolle avaient déracinés en creusant la vallée de la Malnoue telle qu'elle est encore. Les ponts furent débouchés et les eaux en furent abaissées de quatre pieds. On put alors établir une passerelle entre les deux parties de la ville, et ayant réquisitionné tous les chevaux, on entreprit de transporter à la Gariolle tous les matériaux que l'on pourrait trouver. On se proposait d'aveugler le gouffre.
Le lendemain fut employé à pousser un pont d'approche pour arriver le plus prés possible du bouillon, qui heureusement n'était pas éloigné des bords du nouveau vallon. On réunit en un radeau tout ce que l'on avait pu se procurer et le samedi on le précipita du pont. Mais il ne tarda pas à se disloquer sous la violence de projection des eaux. Les charpentes prirent le fil de l'eau; les pierres coulèrent isolément à fond et ne réussirent qu'à déplacer le bouillon, qui se reproduisit aussi fort un peu plus loin.
Le dimanche était arrivé. On pensa alors à invoquer la protection divine. Aprés la grand'messe, toute la ville se rendit processionnellement à la Gariolle, croix en tête, bannière déployées et portant les reliques des saints. Le Saint-Sacrement fut exposé pendant deux heures sur le pont de service; mais les eaux ne baissèrent point. Dieu ne voulut pas manifester sa puissance, punissant ainsi le manque de foi et la folle présomption des gens d'Aubigny, qui s'étaient d'abord fiés à leurs propres forces pour combattre le fléau.
Le soir même, la bailli réunit un grand conciliabule tout ce que la ville comptait de gens de bon conseil. Chacun apporta son avis. Ce fut celui du délégué de la corporation des cardeurs qui fut adopté, et dès le lendemain on commença à le mettre à exécution.
On réunit toutes les laines que l'on put se procurer et qui ne manquaient pas à Aubigny, où les corporations des cardeurs, filateurs, drapiers, foulonniers étaient très puissantes. On rassembla tout le fer que l'on trouva chez les marchands de fer et les habitants. Les cordiers furent aussi mis à contribution : tous les cordages du pays furent réquisitionnés. L'on n'en excepta pas plus les cordes de levage pour les meules de moulin que celles des cloches de l'église.
Des laines on forma une grosse pelotte, au milieu de laquelle fut logé tout le fer disponible. Le tout fut enserré avec des cordes et des câbles. En deux jours l'immense boule fut prête, et le lendemain, du pont rallongé jusqu'au nouveau bouillon, l'énorme balle fut précipitée dans le gouffre, qu'elle couvrit d'un opercule élastique et aveugla sans coup férir. Pour plus de sûreté, le bailli fit jeter sur elle les portes de la ville et toutes sortes de matériaux.
Les eaux, qui depuis dix jours n'avaient pas sensiblement varié à la Gariolle, baissèrent immédiatement. Bientôt on put circuler autour de la balle de laine, qui s'enfonçait peu à peu et qui, enfin, étant toute entrée, fut enterrée.
Le seigneur d'Aubigny, prévenu, arriva de Paris. Il approuva les mesures prises; et, comme on ne put désintéresser les corporations qui avaient abandonné leur laine et les marchands de fer, il les exempta pour l'avenir de tous droits et redevances, faveur dont ils continuèrent à jouir jusqu'à la Révolution.
Depuis lors, pas un boër qui ne cherche l'aiguillon d'aubépine. Mais aucune de ces épines ne peut pousser assez vigoureusement partout où atteignent les eaux de la Malnoue. Aussi, depuis lors, n'a-t-on revu l'aiguillon enchanté.
E.P. LARCHEVEQUE
Extrait de "L'Ouest éclair." Du 26 avril 1935
Une directrice de banque se constitue prisonnière: Ayant détourné plus d'un million et demi, une directrice de banque d'Aubigny-sur-Nère, Mlle Jeanne Girod, agée de 59 ans, s'est constituée prisonnière au parquet de Bourges. Le procureur de la république, M. d'Auriac de Brons, allait quitter son bureau lorsqu'une femme accompagnée de deux officiers ministériels, un avoué et un huissier, s'y présenta et déclara au magistrat, en substance: "Je suis établie banquière depuis 1919 à Aubigny . J'ai détourné l'argent de mes clients: Un million et demi environ. J'ai pensé me suicider: mais je préfère payer ma dette envers la justice. Je vous supplie de me mettre en prison....
Histoire.