Extrait de " Mémoires de l'académie des sciences,...de Dijon. Edition 1939.
Notes d'économie rurale en Sologne, vers 1850. Par Emmanuel Girard.
les notes qui suivent ont été recueillies, en 1916, à Salbris, au cours d'un séjour que j'y fis pendant l'été. Je les dois à des habitants de Salbris ou des environs, tous âgés, alors, de plus de soixante-dix ans.
Ouvriers de culture: Vers 1850, le maître, fermier ou petit propriétaire, labourait avec six boeufs que conduisait le bouaire, qui avait de 16 à 18 ans.
La charrue avait son soc en bois, que l'on désignait sous le nom de ério (cf areau). Dans la plus grande des exploitations agricoles, ce soc était façonné par le maître lui-même. Il était de hêtre ou de chêne. Ces essences de bois n'était pas de Sologne, les bûches étaient achetées chez des marchands de bois de Vierzon, d'Orléans, de Romorantin, débitées d'avance à la dimension voulue.
Le bouaire gagnait de 50 à 80 francs par an. En plus de son gage, il recevait de la toile filée à la maison pour se faire deux chemises, de la toile teinte indigo pour une blouse et deux pantalons, en plus deux paires de chaussons de laine pour mettre dans ses sabots.
Le vacher gagnait de 20 à 30 francs par an et recevait en nature les mêmes fournitures que le bouaire. Parfois, il recevait des épingles (pourboire) à l'occasion de la vente d'un veau.
Le poque (enfant de 10 à 12 ans) qui gardait le porcs ne gagnait que sa nourriture et son entretien, recevant, à la saint Jean, comme récompense, un ou deux écus de trois francs comme gratification. On lui confectionnait ses pauvres vêtements dans les vieilles hardes hors d'usage de la maîtresse.
La ragotte (fillette de 16 ans) qui aidait à la fois aux travaux des champs et de la maison, gagnait trente francs par an. Elle recevait, en plus, deux ragues (corsages) chaque année, une jupe de droguet, de la toile pour se faire deux chemises, une quenouille de laine qu'elle filait au fuseau dans les champs et dont elle se tricotait ensuite des bas et des chaussons. Quelques années après, à la tête de cinq à six brebis, elle devenait bergère et gagnait desoxante à quatre-vingt francs par an. Elle recevait en plus de la laine de ses brebis, ce qui était peu important, car les brebis étaient bien mal entretenues, et un agneau sur deux jumeaux (bessons) quand pareil accouchement survenait. Encore la bergère devait-elle subvenir à la nourriture de ce besson. La maîtresse de maison accordait à la bergère cinq à six aunes de toiles blanche filée à la maison, du droguet pour se faire un jupon, et de la teinture d'indigo pour les bas et les chaussons qu'elle tricotait avec la laine de ses moutons.
La bonne, qui ne travaillait qu'à la maison, aux soins de la cuisine et du linge, gagnait, selon son âge et ses capacités de cent à deux cents francs par an, avait droit à une ou deux livres de laine filée pour tricoter ses bas et ses chaussons, à cinq ou six aunes de toiles blanche et du droguet de quoi faire un jupon.
Nourriture: la nourriture était commune aux maîtres et aux domestiques. Elle était des plus médiocres: Elle consistait en pain de seigle ou de sarrazin, en chou, pommes de terre, haricots non écossés ou écossés cuits à l'eau avec un peu de sel et de lait caillé, très rarement avec un peu de beurre; dans la saison, des châtaignes bouillies où grillées. Deux fois par semaines, au plus, on mettait dans la potée de légumes un morceau de porc salé. Combien de journaliers ne mangeaient de la potée à la viande que dans les fermes, pendant la moisson, et qui se nourrissaient chez eux de pain de seigle et de fromage maigre.
Vers la toussaint, à Pâques, on tuait la grand-mère truie que l'on avait fait engraisser pour emplir la tine et c'était un grand régal pendant toute une semaine de manger le boudin, la carbonade et les ergotiaux.
C'était aussi une grande fête, à la fin de la moisson, quand on tuait le grand coq (le grand jo) pour le dernier repas des moissonneurs et des moissonneuses.
La boisson était l'eau, pendant quelques mois du cidre fait avec de mauvais fruits d'arbres souffreteux. Le vin n'était consommé qu'aux jours de fêtes et pendant les grands travaux. Ce vin, acheté en petite quantité, venait des marchands en gros de Selles-sur-Cher, de Romorantin, de Mennetou-sur-Cher. C'était au mois de décembre, après la vente de produits, effectuées à la saint Martin, que les cultivateurs les plus aisés, les petits propriétaires et les débitants se rendaient dans les localités sus-indiquées pour y faire leur provision, soit chez le vigneron récoltant, soit chez le grossiste. Une certaine quantité de vin venait des régions avoisinantes et de plus loin. Le canal de Berry était alors sillonné par de nombreux chalands. Selles-sur-Cher comptait de quatre-vingt à cent mariniers vavant du canal du Berry.
Prix des produits de la culture: La maîtresse allait vendre ses agneaux aux foires de Romorantin, de Mennetou-sur-Cher, de Neung-sur-Beuvron, de Salbris. Le couple d'agneaux de plusieurs semaines était de huit à dix francs. Une paire de poulets se vandait un franc vingt-cinq ou un franc cinquante, celle de canards deux francs, celles d'oies trois francs cinquante, celles de dindes six francs.
A la foire de Châteauvieux, à la Ferté-Beauharnais, la plus importante de la région, une vache se vendait de cinquante à soixante francs, un veau de cinq semaines de six à dix francs.
Le beurre se vendait de quarante à cinquante centimes la livre; la douzaine d'oeufs vingt à trente centimes.
La laine était réservée, dans toutes les maisons, pour l'usage familiale. Le surplus, seul, était vendu, d'où son prix élevé.
Le poisson était un produit de vente à l'extérieur du pays. Vers 1850, il existait dans l'arrondissement de Romorantin mille à onze cents étangs peuplés de carpes, de tanches, de brochets, d'anguilles. Ces poissons se vendaient bien sur les marchés de Tours, de Bourges, de Blois, d'Orléans. Aucune de ces villes ne recevaient alors les poissons de mer.
En plus des poissons, les étangs de Sologne offraient alors la ressource des sangsues. Vers 1850, les sangsues, vendues en pharmacie, provenaient presque exclusivement des départements de l'Indre, de Loir-et-Cher, du Loiret. Deux centres d'élevage existaient à saint Viâtre et à Marcilly-en-Gault. celui de saint Viâtre était plus important. Un étang servait uniquement à l'élevage des sangsues. Il portait le nom sinistre de tremble-vif, parce que la fièvre régnait aux alentour à l'état endémique. De vieux chevaux étaient achetés, à raison de quinze à vingt francs. On les faisait entrer dans les étangs; les sangsues se collaient après eux et leur suçaient le sang jusqu'à ce que les malheureuses bêtes ne tombassent épuisées. On les sortait alors de l'eau, on recueillait des milliers de sangsues dont elles étaient couvertes, on faisait "dégorger" celle-ci dans de l'eau courante avant de les mettre en vente. Le braconnage des sangsues existait comme celui du gibier. Avec des poules trop vieille, des chiens trop âgés, souvent mêm sur eux-mêmes, de pauvres diables attiraient les sangsues et allant de ferme en ferme, vendaient leur marchandise contre quelques sous.
Travail du chanvre à la maison: Le chanvre était très cultivé dans la région de Salbris. Les étangs servaient au rouissage de la plante. Aux veillées d'hiver, la préparation des fibres comportait trois préparations. Après le séchage de la plante sortie des étangs sur le cul-de-four et la séparation de la chenevotte et de la filasse au moyen de brayes, celle-ci était mise à part. Venaient alors le ferrandiers, ouvriers ambulants, qui, avec leurs peignes, séparaient la filasse en trois tris.
Le premier tri était filé à la quenouille, le soir, par la maîtresse, la bonne et la bergère, à la quenouille et au rouet, à la lumière des oribus.
Le second tri, destiné aux vêtements, composé de fibres plus grossières, était filé par la rogotte et le poque au fuseau uniquement .
la fillasse du troisième tri était envoyée au cardeur du pays.
La filasse du premier tri servait à la toile des draps, des nappes, des serviettes; celle du second tri servait à la toile des torchons, des pantalons, des blouses.
Travail de la laine: Des cardeurs passaient à la maison, cardaient, peignaient, affinissaient la laine. Une partie de celle-ci était remise, quand elle était filée par les femmes de la maison au tisserand pour faire le droguet et au foulon pour la fouler. Avec l'autre partie, conservée à la maison, les femmes tricotaient, à la veillée, des jupons, des bas, des chaussettes, des chaussons.
Lorsque le droguet et le tricot étaient terminés, on teignait à l'indigo dissous dans l'eau chaude tout le lainage qu'on enterrait de suite dans le fumier où il restait trois à quatre jours pour fixer la teinture.
Petits métiers disparus: On ne voit plus de taupiers, les produits vendus en pharmacie ou en droguerie, les labours plus profonds pratiqués en culture, ont rendu les services de ces travailleurs inexistants. Un métier de petites gens a également disparu depuis cinquante ans, celui de ramasseurs de pommes de pin. Les vastes sapinières de la Sologne ont été détruites en grande partie par le rigoureux hivers 1879-1880. Jusqu'alors une partie de la population ramassait les pommes de pin. C'était ordinairement des vieillards, l'homme avec une perche faisait tomber les pommes de pin, dit de Bordeaux, que la femme ramassait et mettait en tas de mille. A deux, dans une bonne sapinière, ils pouvaient récolter cinq à six mille pommes par jour, ce qui, à raison de cinquante centimes le mille, leur valait, pour deux, une journée de deux francs cinquante centimes à trois francs par jour. Lorsque ces travailleurs avaient une voiture à bras et emportaient leur récolte, au lieu de la vendre sur place, ils faisaient ouvrir les pommes de pin au soleil, récoltaient la semence qu'ils vendaient séparément et avaient en plus comme produit les pommes de pin qui avaient plus de valeur ouvertes et séches.
Les chasses en Sologne: C'est depuis 1875 principalement que les chasses de Sologne sont devenues bien en honneur pour des étrangers du département.
Extrait de " Mémorial du commerce." Edition 1860.
Au moyen d'un accord passé avec la compagnie d'Orléans et, moyennant l'intervention d'un entrepreneur qui reçoit une subvention de l'état, les marnes provenant des gisements considérables qui existent près d'Orléans, sont fournies aux cultivateurs au prix de 2 fr 50 c. le métre cube. Onze dépôt sont établis le long du chemin de fer sur kilomètres etre le Ferté et Theillay. Ce service, qui a commencé à fonctionner en octobre 1853, a fourni à l'agriculture, depuis cette époque, environ 110,000 mètres cubes de marne, qui représentent, à raison de 35 mètres cubes en moyenne par hectare, le marnage de plus de 3,000 hectares.
Toutefois, quelle que soit l'importance de ces premiers résultats, on doit reconnaîtreque le problème de l'amélioration de la Sologne n'a pas encore reçu de solution complète. Comment ces premiers assais d'assainissement et de mise en valeur du sol seront-ils poursuivis ? entreprendra-t-on un vaste système de canalisation ? ou se bornera-t-on à exécuter quelques canaux secondaires ? devra-t-on préférer la création d'un réseau de routes agricoles ? conviendra-t-il d'adopter des mesures analogues à celles qu'on propose d'appliquer à la Dombes, pour hâter la suppression des étangs ? toutes ces questions sont en ce moment à l'étude, et le conseil d'etat sera très prochainement saisi de leur examen. Dès qu'il aura donné son avis, je m'empresserais de soumettre à votre majesté des propositions définitives.