Extrait de " Au lit de mort, par Marie Alexandre Dumas. Edition 1867.
...Un jour que saint Martin se rendait à Levroux (pélerinage de saint Souain ou Sylvain)....L'évêque, le fameux saint Martin, le vrai saint Martin, l'évêque de Tours, je n'en connais qu'un.. Un jour donc que saint Martin, accompagné de son fidèle compagnon saint Brice, se rendait au pélerinage de saint Souian, ce qui ne manquait pas de faire chaque année, sa foi dans le saint martyr étant trés grande, il s'arrêta à Argy pour dire la messe. Mais les grenouilles des fossés voisins, qui étaient encore païennes, se mirent à coasser de telle façon que les nombreux auditeurs, le moment du sermon venu, ne pouvaient entendre un seul mot de ce que disait le saint. Alors saint Martin, qui tenait autant à être entendu que ses auditeurs tenaient à l'entendre, pria saint Brice de sortir de l'église et d'ordonner aux grenouilles de se taire.
Saint Brice sortit de l'église au milieu d'un charivari effroyable; mais, tout à coup, sur son invitation , le bruit cessa, et saint Brice rentrant fit signe à son ami saint Martin qu'il pouvait parler. Il va sans dire que saint Martin fit un si beau sermon, qu'à la suite de ce sermon tous ceux de ses auditeurs qui n'étaient pas encore chrétiens, se convertirent.
L'office terminé, les deux saints remontèrent sur leurs ânes, qui les attendaient à la porte, et s'acheminèrent vers saint Souain. Mais bientôt le saint se rappela qu'il avait quitté Argy sans rendre la voix aux grenouilles, et ne voulant pas qu'on l'accusât d'un abus de pouvoir, même sur les pauvres animaux, il pria saint Brice, qui leur avait ordonné de se taire, d'attacher son âne à un arbre et de retourner sur le sien relever les chanteuses de leur pénitence. Quant à lui, pendant ce temps, il prendrait un peu de repos dont il avait besoin et, pour faire ainsi, il mit pied à terre, s'étendit sur l'herbe et s'endormit. Avant de s'éloigner, saint Brice, qui ne savait que faire de son bourdon et de celui de son maître, en planta un à la tête et l'autre aux pieds de saint Martin; puis, arrivé au bord des fossés d'Argy, il arrêta son âne et annonça aux grenouilles qu'elles étaient libres de chanter. Une d'elles, pour lui prouver que le voix lui était rendue ainsi qu'à ces compagnes, poussa quelques coassements et se tut. Depuis ce temps les grenouilles d'Argy sont restées muettes ou, par déférence pour le saint, parlent si bas qu'on ne peut les entendre...
Mais là n'est pas le plus beau du miracle. En revenant près du saint évêque de Tours, saint Brice trouva que les deux bourdons avaient pris racines et étaient devenus des arbres dont l'immense feuillage abritait le dormeur contre les rayons diu soleil.
Saint Brice réveilla saint Martin, lui annonça que sa commission était faite et bien faite; tous deux remontèrent sur leurs ânes et continuèrent leur chemin, laissant derrière eux, comme témoins de leur sainteté, les deux arbres qui ne furent coupés qu'à la révolution de 93, qui coupa tant de choses, et que l'on appelait les arbres de saint Martin-le-Riche....