Extrait de "Mémoires de la société archéologique de l'Orléanais". Edition 1851-1950.
Vallum de Neung-sur-Beuvron
Parmi tous les mémores lus aux séances de la société archéologique, je n'en connais pas un qui ait traité spécialement du vallum antique,tel qu'il pouvait être dans nos contrées, au temps des Gaulois.
On a parlé de tombeaux, de puits funéraires, de tumuli, de substructions, de thermes, de cirques, de théatres; je ne me souviens pas qu'il ait été question d'un vallum.
M. le capitaine Rouby, chargé par l'empereur d'un travail topographique, utile à l'auteur de l'histoire de Jules César, a signalé, dans notre province Orléanaise, le vallum de Triguères, dont il a relevé le plan. Il a également exploré le vallum de Neuvy-sur-Barengeon, à quelques lieues de Salbris en Sologne.
Un hasard m'a fait découvrir celui de Neung-sur-Beuvron, et j'en ai donné de suite avis à la société. Depuis, j'ai pu l'étudier avec plus d'attention. Aujourd'hui, j'apporte le résultat le résultat de mes recherches.
Avant de me mettre à l'oeuvre, j'ai voulu relire les chapitres VI et VII des commentaires, qui nous révèlent les systèmes de défense adoptés dans la Gaule. Si les Gaulois avaient des villes placées sur des hauteurs, comme Gergovie et Alesia, ils aimaient assurément aussi à se protéger contre les attaques de l'ennemi au moyen des rivières, des marais, des bois et des vallées. Les populations, dit César, au paragraphe 34 du livre VI, s'étaient campées là où une vallée cachée, une forêt ou un marais leur offrait une protection et un espoir de salut.
Lorsque Vercingétorix vint au secours de Bourges, assiégé par les Romains, il se retrancha derrière des bois et des marais.
Avaricum, la plus grande et la mieux fortifiée des villes du pays Bituriges, presque la plus belle de la Gaule, était défendue par une rivière et un marais. Melodunum et Lutetia avaient pour ceinture les eaux de la Seine.
Neung, dont le nom celtique Naïm signifie lieu aquatique, est situé au confluent de deux rivières et dans une vallée. A ces moyens de défense naturel, il a ajouté un rempart ou vallum.
Ce vallum, élevé par la main de l'homme, sur un sol uni et déprimé, est composé de terre seulement, et de terre prise sur le lieu, car on y trouve les couches de sable et de glaise qui distinguent la Sologne. Il forme un arc dont les deux extrémités, séparées par un intervalle de 200 à 300 métres, s'appuient sur le Beuvron, tandis que la Tharonne le protège au sud et à l'ouest. Il mesure, dans sa partie la plus élevée, environ 15 mètres de hauteur, et à sa base 45 mètres de diamètre. Il a été coupé en deux endroits: 1° par la route de grande communication n°1 de Blois à Sully; 2° par une chemin d'exploitation, dit de Varenne. On ne remarque, tout autour, aucune trace de fossés; mais à une assez faible distance, des collines naturelles lui servent comme de contrescarpe.
Les fouilles, les sondages n'ont amené aucune découverte d'objets antiques, soit dans le talus lui-même, soit dans l'étendue du terrain qu'il encadre.
Mais, en dehors du vallum, sur un plateau voisin, dans une propriété appartenant à M. Devaux, maire de Neung, des fouilles récentes ont mis à jopur une foule d'antiquités qui prouvent l'existence antérieure d'une station romaine dans cet endroit. J'y ai retrouvé des blocs de béton et de cailloux formant la première couche d'une voie romaine et des dalles qui la recouvraient, des substructions composées de briques et de pierres, une quantité énormes de briques à rebord, des fragments d'amphore, de patères, de vases fins et communs , des meules, des ossements humains et des vases funéraires d'un très joli galbe, surtout une énorme quantité de monnaies romaines sur lesquelles on lit encore les noms de Trajan, Marc-Aurèle, Adrien, Antonin, Faustine, Sabine, Crispine, etc..
M. Devaux assure avoir rencontré un aqueduc, aujourd'hui recouvert, et possède une statuette antique que je n'ai pas vue.
Pourquoi la cité romaine était-elle en dehors du vallum, et pourquoi le bourg actuel de Neung se trouve-t-il dans l'enceinte même de ce vallum? Cette oeuvre de défense, qu'on appelle aujourd'hui les monts, est-elle gauloise, romaine ou française ? A-t-elle servi de rempart à une ville ou à un camp ? Telles sont les questions à résoudre.
Les romains aimaient à stationner dans des lieux élevés, là où le regard pouvait s'étendre au loin. Il n'est donc point étonnant qu'ils aient préféré, pour asseoir une cité traversée par une voie, la colline, d'où ils dominaient tous les environs, au vallum caché dans une vallée. Mais lorsque cette cité, ravagée par les barbares au temps des invasions, eut été réduites à l'état de ruine, les habitants, sans asile et sans défense, durent être heureux de pouvoir aller se retrancher derrière la vieille enceinte restée debout près d'eux.
Voilà, nous le croyons, les raisons qui ont fait placer le bourg actuel dans l'intérieur, et la cité romaine en dehors du vallum.
Ce vallum en terre et demi-circulaire ne répond à rien de ce qu'ont produit les romains ou leurs successeurs dans les Gaules en fait de fortifications. Les romains avaient adopté la forme carrée. Les gaulois, au contraire, préféraient la forme ronde. Les romains bâtissaient des murs autour des villes. Les gaulois élevaient des clôtures en terre. Le nom de Naïm est emprunté à la langue celtique, et convient parfaitement au bourg renfermé entre le vallum et le Beuvron. Toutes les raisons militent donc en faveur d'une origine gauloise.
Mais le vallum de Neung fut-il élevé pour protéger une ville ou une troupe ? Voilà ce qu'il est difficile de déterminer, puisque nul vestige ne peut servir de renseignement.
Le premier acte connu où il soit question de Naïm date de 1177. C'est un acte par lequel le chapitre de la Ferté-Aurain, ou Avrain, aujourd'hui la Fertè-Beauharnais, céde au chapitre de Sainte-Croix d'Orléans tous les droits à une rente assise sur l'église de Neung.
En 1256, l'abbé et le monastère des cisterciens d'Olivet vendaient à Pasquier de Vermilla, prêtre et clavaire ou gardien des clés de l'archevêque de Bourges, une rente assise sur des héritages situés dans la paroisse de Naïm.
L'ortographe du nom varie, et on l'écrit tantôt avec un ï, tantôt avec un y, tantôt avec un m, tantôt avec un n: Naïm, Naym, Naïn. Les chanoines de sainte-Croix l'ont décliné et disent: Naïmus, Naïmi, Naïmo.
Il y avait autrefois, à Neung, une prévôté, et la cure relevait du chapitre de sainte-Croix d'Orléans.
Neung-sur-Beuvron est aujourd'hui un chef-lieu de canton de l'arrondissement de Romorantin, département de Loir-et-Cher.
Je dois ajouter, en finissant, qu'on signale à Millançay, village assez voisin de Neung, un vallum semblable à celui que je viens de décrire...
DE TORQUAT